Boby

L’artiste s’installe dans un lieu, armé d’outils, de matières, de textes, de propositions. Sa présence fonctionne comme un appel, une invitation. Il cherche à créer une situation qui permette de transformer l’habituel et rende possible de nouvelles modalités d’action en suscitant des interactions
avec les spectateurs, les passants. Il les mobilise de manière sensible, les incitant à changer de point de vue, à se déplacer. Il aborde l’art à la manière de la permaculture, il est franchement là, dans une attention féconde au vivant, regarde et intervient pour rediriger, décaler, redéployer.
En jouant avec les mots, les objets, les matières, les sons, en tissant des liens féconds entre les gens, des œuvres qui apparaissent comme anonymes et parfois invisibles se dessinent, des moments de vie qui activent des désirs et augmentent nos puissances d’agir.

Pelousey, mercredi 18 mai, 14h30, déplacement de la matériauthèque mobile : une œuvre-invite.

La matériauthèque propose des déchets issus d’industriels ou de particuliers, elle s’installe dans l’espace public, intègre les publics dans une expérience singulière en leur proposant d’utiliser les ressources à disposition.
Elle devient un lieu de faire ensemble, de bricolages en tout genre et de jeux. Les artistes et animateurs récoltent des traces sensibles et d’inventions formelles opérées par les publics à partir de ces ressources insolites.
L’œuvre est en même temps cet espace d’expérimentation et d’amusement qui invitent à la rencontre, à la création, et aussi toutes les tentatives de l’artiste pour que des choses surgissent. L’ordinaire alors n’existe plus, à partir du moment où une attention est portée, tout devient exceptionnel.

“La première exigence est de planter le décor : garer le camion, construire la structure en bois,
sortir les bidons et les installer. S’inquiéter des détails : la composition de l’ensemble, la façon
dont on suspend les tubes translucides remplis de ressources colorées, les éléments qu’on dispose
et qui se révèlent au regard. L’installation est tout un art, et la manière dont je ou on s’applique
à cela donne le ton : les corps peuvent être drôles, burlesques, ou poétiques et dansés.
L’energie peut être sèche et tendue, généreuse et chaleureuse, inquiétante ou entrainante… elle
se dispense aussi en fonction des publics qui observent bien souvent un peu de loin. Cette partie
spectaculaire une fois terminée laisse la place à l’autre, qui passe. Aujourd’hui ce sont des adolescents
qui sont là : un groupe de filles et un autre de garçons avec des scooters, situé un peu
plus en hauteur, et sous l’arbre aussi deux grands enfants lisent, alors bien sur j’en rajoute un peu,
des mouvements, je m’élance et amplifie les gestes. On s’installe sur le tapis, et je commence à
parler aves les jeunes qui sont le plus proche de moi. J’essaie de comprendre leur source, ce qui
m’intéresse c’est à un moment de mobiliser leur souffle de vie, ce qui les touche et de les amener
vers la créativité, que ce soit au travers de l’écriture, la parole, l’assemblage, le dessin. Puis une
fois attrapés, j’essaie un peu plus loin
J’adore la ligne jaune parmi les bidon , comme un trait, une barre , j’adore tirer la bande jaune,
direction, force qui attire le regard. Je tire le ruban jaune du rouleau de scotch qui est accroché
au camion et je le promène dans l’espace jusqu’aux scooterx.
Cela crée des espaces, des chemins vers des publics. C’est une façon d’être ensemble autour de
cette ligne de fuite, de conduite.
Sur ce grand sillon de scotch que je déroule, en bas près du camion, des enfants approchent.
Je leur propose de marcher sur la ligne sans dépasser, et puis de la chevaucher, ou de courir. Ils
s’y donnent à coeur joie. Et puis j’y place un dé et on dit que le dé créé des évènements. Chaque
face désigne une action : sauter à pied joint, déplacer un objet avec une raquette de badminton,
sans que l’objet ne sorte du ruban, marcher à quatre pattes…. il n’y a plus qu’à suivre, se souvenir.
Mais sur la bande, on peut aussi écrire des bribes, des mots, des histoires… Les adolescents se la
sont appropriée, je n’ai eu qu’à laisser trainer le chariot d’outils. Ils ont coupé le scotch et le disposent
dans l’espace, autour des bancs, des tables de ping-pong, graphes sauvages, mots lancés,
petits drames, secrets dévoilés, jeux de mots, traces… la bande qui relie, ou celle qui sépare ?
Il s’agit juste de tirer un fil pour créer des interactions, des espaces vivants, faire exister quelque
chose. Ils y viennent tous à dessiner sur cette nouvelle forme, une invitation au jeu, à porter son
attention, à passer du temps dans les mots, à s’enchanter.
Tout est prétexte à dire, à exposer, j’installe maintenant un mini marché de restes, résidus de
laine sorti d’un sac de course, sur le grand tapi. Je trie ces laissés pour compte par couleur je
m’y place pour broder des cagettes, j’adore cette activité. Et les adolescents dessinent, discutent
jusque sur le camion. Une maman s’installe pour broder avec moi.”

Elisabeth Gerl, récit, 18 mai 2022,
Pelousey, 1ere partie,